Généalogie de José CHAPALAIN


 

 

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Les côtes barbares

Pilleurs d'épaves et sociétés littorales en France

1680 - 1830

par Alain Cabantous

aux éditions Fayard

je vous recommande tout particulièrement la lecture de cet excellent livre

très bien documenté, vrai référence sur le sujet

extraits choisis

Les raisons d'un naufrage

Dans une recherche récente consacrée aux difficultés de navigation des navires engagés dans trafic colonial nantais , J Ducoin affirmait que sur les 232 naufrages survenus entre 1700 et 1792, 46.5% relevaient d'une erreur humaine et seulement 20.7% des seules conditions météorologiques.....

Deux conclusions ...., la première touche à la chronologie des naufrages qui privilégie massivement les nuits ou les petits matins d'hiver, moments de relative disponibilité des populations littorales. L'activité agricole traditionnelle est moins intense pendant les mois de froidure, et le naufrage nocturne permet d'être à pied d'oeuvre dès l'aube pour d'éventuelles occupations prédatrices. La seconde remarque concerne la part non négligeable des échouements qui se déroulent près des ports ou dans le port même. A partir de la fin du XVII ème siècle, ces accidents échappent largement au pillage dans la mesure ou la ville reste le siège de l'autorité régulatrice et répressive....

Les villes maritimes de quelque envergure entretenaient en principe un corps de pilotes côtiers voué à la conduite des navires à travers passes et bancs, afin de réduire les risques d'échouage......

Le texte de 1681 était particulièrement sévère à l'égard des pilotes ignorants responsables d'un accident : ils étaient "condamnés au fouet et privés de pilotage pour toujours", Et s'il arrivait, ajoute l'article .... "qu'un tel pilote jeta malicieusement un navire sur un banc ou sur une côte, il était punissable du dernier supplice"....

 

Feux du crime, feux de l'illusion

La situation de la signalisation lumineuse des littoraux français restait très peu satisfaisante à la veille de la Révolution.....

Le 45 ème et dernier article ... de l'Ordonnance de marine de 1681, qui traite "des naufrages, bris et échouements" reste probablement à l'origine d'un certain nombre de malentendus; "ceux qui allumeront la nuit des feux trompeurs sur les grèves de la mer et dans les lieux périlleux pour y attirer et faire perdre les navires seront aussi punis de mort et leur corps attaché à un mât planté aux lieux où ils auront fait leur feu".....

Jamais un maître de navire naufragé ne dénonce la présence de feu découvert au loin pour expliquer l'accident...

 

Du naufrage au pillage

Dans l'amirauté de Quimper , la proportion de pillage s'élève à 28.3% des naufrages....

 

Le théâtre social du pilage

Le pillage ... concerne massivement, répétons-le, les mondes ruraux....

Répartition socio-professionnelle en % dans quelques communautés littorales de la  France du XVIII ème siècle :

Plozévet 1793-1796

Nombre de feux : 460 / 480

Métier de la terre + journalier : 90.5%

Artisans : 5.4%

Commerce et fonctionnaire : 1.3%

Indéterminé : 2.8%

 

L'évènement intégrateur

A plusieurs reprises, les capitaines décrivent l'arrivée des riverains comme une vague qui prolonge immédiatement le naufrage....

Ce groupe initial est par sa composition le plus souvent révélateur de la population de la paroisse. On y trouve tout autant "hommes, femmes et enfants", paysans, artisans, marins, prêtre et parfois nobles et bourgeois.....

Mais bientôt, aux gens de la paroisse où s'est déroulé l'échouement, aux gardes, s'adjoignent des personnes étrangères au territoire qui, ayant eu vent de l'aubaine, comptent bien en profiter à leur tour....

Mais la fréquence du pillage collectif peut aussi dépendre de la plus ou moins grande détermination répressive du pouvoir. Un laxisme durable, nous le verrons, encourage la persistance de ces mouvements d'ensemble qui peuvent aussi traduire l'expression d'une résistance protestataire, un  défi aux sanction subies lors d'une affaire antérieure....

A plusieurs reprises, les sentinelles désignées se plaignent d'être exposées au danger des attaques riveraines, organisées et violentes....

 

Face à l'équipage

Une ventilation effectuées à partir des seules déclarations de capitaines naufragés et des références explicites de l'amirauté  de Quimper permet de proposer des ordres de grandeur plus qu'une approche fine : environ la moitié des bâtiments échouent sans faire de victime, près de 15% déplorent la perte de moins de la moitié de leur équipage, 12% entre la moitié et les 9/10,  25% n'ont aucun survivant......

A l'heure actuelle, seul le fond de l'amirauté de Cornouaille et son admirable inventaire autorise une approche un peu précise. Sur 42 rapports de naufrages survenus entre 1716 et 1790 et mentionnant la nature des contacts entre les autochtones et les marins, 28.5% font état d'une appréciation négative, allant du désagrément mineur à l'hostilité ouverte.....

En revanche les secours avaient leurs limites. Il était difficile aux équipages malheureux de récupérer quelques affaires personnelles de valeur restées sur le navire. Elles appartenaient déjà aux villageois, car l'hospitalité des riverains n'excluait nullement le pillage. Dans un tiers des cas environ (31%), la pratique du bris succède à la sauvegarde des hommes....

 

Face aux autres

Les foules pillardes ou les individus isolés se heurtent ensuite assez vite aux représentants des diverses parties intéressées par l'affaire : ceux du Roi, des marchands, de la paroisse. Rarement pourtant, les riverains affrontent les officiers de l'amirauté ou leurs mandataires, dans la mesure où ces derniers arrivent souvent bien tardivement sur les lieux de la catastrophe.....

L'intervention directe du syndic ou du capitaine de paroisse restait peut-être plus mal acceptée encore. Figure familière de la société rurale, ce vague précurseur du maire, cherchant à s'interposer, se rendait alors coupable d'une véritable félonie aux yeux des villageois....

Mais l'essentiel des réactions brutales est réservé au personnel dépêché sur place pour protéger la cargaison, le bâtiment ou ce qu'il en reste. Au cours d'un pillage, ce sont incontestablement les gardes ou les soldats qui demeurent les plus exposés à la violence riveraine, jusqu'a l'extrême......

Généralement la menace verbale ou gestuelle, soutenue parle nombre, est assez dissuasive pour anéantir la mission des gardes....

C'est presque toujours le zèle des défenseurs qui aggrave une situation déjà tendue...

Mais la sécurité des gardes n'était pas acquise une fois l'affaire terminée. Les pillards, arrêtés ou empêchés d'agir, promettaient alors la vengeance qui n'était pas toujours une bravade de dépit....

 

L'ivresse du pillage

Les villageois métamorphosaient le pillage en fête bachique , et la plage en nouvel espace d'effervescence et de confrontation. A cet effet, on repérait toujours quelque baril de vin ou de bière pour célébrer ces moments dans l'ivresse....

Au terme de tous ces excès, on compte des blessés et quelques morts. Après l'orgie suscitée par l'échouage d'une centaine de fûts d'eau-de-vie et de vin à la côte du Riz, près de Douarnenez, le 1 er décembre 1750 "quelques personnes des paroisses de Plonévez-Porzay, Ploaré et Locronan" étaient effectivement mortes à force de boire de l'eau-de-vie..

Les déprédation maritimes se déroulent rarement sans consommation de boisson fortes saisies sur l'avitaillement de l'équipage, tout comme elles restent inséparables d'une violence ritualisée ou non, mais inévitable...

 

La part du butin, ou les nécessités de l'économie littorale

Loin de se réduire à un assouvissement d'instincts brutaux, le pillage, sous toutes ses formes, essentiel et inattendu, s'intègre dans une économie côtière.

Essentiel, puisque les acquisitions successives arrachées à la mer permettent de procurer des appoints multiples, de pallier les insuffisances des possibilités littorales, de développer un système d'échanges licites ou non, parallèles ou intégrés à l'économie traditionnelle.....

 

Des économies villageoises entre productions et pillage

Richesses et carences des économie littorales

Pour se procurer du bois, l'homme de la côte devait toujours aller le quérir loin : à trois quart de lieue de la paroisse de Plouhinec...

Rare, le bois fut donc toujours un produit cher dans ces contrées et constituait uns source de profit pour les marchands spéculateurs....

 

L'économie fractionnée du pillage

Mais plus fréquemment les épaves répandaient des futailles de vin et d'alcool ....

Aux yeux des riverains, tout était bon à prendre. Même sur lest, un bateau échoué représentait une mine extraordinaire. Le bois, les ferrures, les cordages, les voiles, les instruments et accessoires multiples attisaient la convoitise directe des pilleurs....

Si le bâtiment drossé était resté intact ou à peu près, l'attention des pilleurs se portaient essentiellement sur les apparaux les plus facile à dérober rapidement. Dès lors, les cordages, les voiles fournissaient l'essentiel du butin.....

Parvenus à bord, certains s'aventuraient à fouiller cabines et recoins pour trouver des outils, des armes, des ustensiles variés, de l'alcool mais aussi et surtout de l'argent....

A l'affût de tout, les riverains n'hésitaient pas non plus à fouiller les cadavres pour tenter de s'emparer encore de quelques pièces de monnaie....

Ballotté et retourné sans cesse par le flot, le corps échoué ne pouvait offrir que ce qu'il a pu retenir : une bague, des boucles auriculaires - que les pillards s'empressait de dérober en coupant les oreilles avec - mais surtout des vêtements, parfois passés les uns sur les autres dans la hâte du danger....

On possède plusieurs relations et plaintes d'équipages dépouillés vivants....

 

Culture d'une consommation

La lecture des enquêtes semble montrer que les carences de l'économie domestique privilégie trois sortes de marchandises : le bois, le vêtement, la boisson....

Le vêtement, dans les inventaires après-décès populaires du monde littoral, tient généralement peu de place. Au XVIII ème siècle, sa valeur représente autour de 3% des fortunes paysannes dans la région de Douarnenez et de Concarneau....

Rareté des habits donc, mais aussi vétusté

Avec les boissons soustraites aux cargaisons et les tonneaux éventrés, on demeure dans le champ d'une consommation souvent immédiate, instigatrice de comportements individuels répréhensibles et révélateurs. ...

Les côtes regorgent d'ivrognes, le cabaret reste leur passion et leur vice dominant, assouvis les dimanches, jours de fête et jours de foires....

Sans établir une hiérarchie sociale de la soûlographie, on ne peut cependant nier l'accoutumance ancienne des marins aux boissons fortes. Parmi bien d'autres exemples possibles, on reproduira l'arrêté du district de Pont-Croix, département du Finistère, le 5 août 1790, "relatif au malheur arrivé à Douarnenez où trois pêcheurs se sont successivement noyés après avoir fait un usage immodéré d'eau-de-vie. L'assemblée se déclare profondément affligée des malheurs occasionnés récemment par l'intempérance avec laquelle les marins employés à la pêche de la sardine à Douarnenez se livrent à l'usage de l'eau-de-vie et autres liqueurs fortes"

 

Le sauvetage ou le travail forcé pour tous ?

Selon l'ordonnance de 1681, en vigueur pendant tout le XVIII ème siècle, et virtuellement au-delà, les habitants des paroisses bordantes étaient tenus de travailler "incessamment et de sauver les effets provenant d'un naufrage". Il serait tenu un  rôle des "travailleurs employés par marée et par journée, sans qu'aucun puisse s'immiscer au travail, à peine du fouet"....  Cette réquisition villageoise ne pouvait être effectuée que par les officiers des amirautés ou par leurs représentants.....

Ainsi, dès son arrivée sir la côte, l'officier ou son représentant, après l'estimation approximative des dégâts, se met en quête d'une main-d'oeuvre qui devra être immédiatement disponible.....

A côté des convoyeurs de terre et d'eau, d'autres individus étaient mobilisés lors d'un échouement. Manouvriers et artisans, femmes et enfants pouvaient aussi se trouver requis pour des tâches bien précises : le dégagement des débris, les fouilles et les récupérations des effets sur les rochers pour les journaliers, la remise en état des barils pour les tonneliers et des embarcations pour les charpentiers du lieu. Les femmes et les enfants étaient davantage préposés au séchage des ballots et de leur contenu, au rinçage des tissus, au tri des objets.....

La troisième  catégorie d'individus sollicités se trouvait préposés à la protection de la cargaison, tâche autrement plus redoutable que le charroi ou le séchage. Elle nécessitait de la part des autorités un choix délicat dont on connaît mal les critères. Certains des hommes désignés étaient naturellement les gardes des fermes du Roi ou les gardes-côtes

Mais ces gardes "naturels restaient toujours en nombre insuffisant face à une foule imposante et parfois menaçante.... Il fallait donc se résigner à prendre des gardiens sur place même. Un passage du procès verbal  établi après le pillage du "Jeune Jacob", en septembre 1780, montre que le représentant de l'amirauté demande "au procureur terrien de choisir vingt hommes entre les laboureurs les plus honnêtes et les plus aisés de la paroisse de Plozévet"....

Les travailleurs appelés au sauvetage d'un bâtiment devaient recevoir un salaire journalier prélevé sur le montant des enchères ou acquittés par les propriétaires venus récupérer leurs biens....

Amirauté de Quimper (1730 - 1750)

sauveteur : 10 sols par jour, 20 sols par nuits                                                                    gardiens : 20/30 sols par jour, 30/40 sols par nuit

Si l'on s'en tient aux rétributions prévues, forces de constater que le journalier, en recevant 10 sous par marée, au début du XVIII ème siècle, percevait ce qu'il aurait touché pour une journée salariée ordinaire.....

Les dossiers de l'amirauté de Quimper, les plus complets, révèlent les retards, les erreurs, les omissions des officiers chargés de tenir les "rolles" des sauveteurs. Plus d'une fois les hommes de l'amirauté invoquèrent l'excédent des dépenses par rapport aux recettes et n'hésitèrent pas alors à retrancher de la rémunération de chacun la même somme pour équilibrer les comptes.....

Des difficultés analogues se dressaient vis-à-vis  des personnes parties repêcher la cargaison sous la mer ou a sa surface. En vertu des ordonnances, elles percevaient le tiers de celle-ci ou de sa valeur, mais il revenait aux officiers de l'amirauté d'apprécier si oui ou non ces hommes avaient retirés les épaves de l'eau ou s'ils s'étaient contentes de les prendre alors qu'elles allaient échouer....

 

Le Seigneur et le Bris

Droit de Bris, droit Seigneurial

Jusqu'au début des années 1600, le droit de bris, aussi appelé droit d'épave, de lagan, de varech, échappe en grande partie au souverain....

Il tire généralement son origine d'anciens coutumiers qui accordent aux Seigneuries maritimes "tout ce que l'eau aura bouté et jeté à la mer"....

Comme tout autre sorte de jouissance féodale, le droit de bris pouvait être accordé par un suzerain à un vassal ou à une institution...

Car si certains entendaient bien faire une exploitation directe de cette prérogative, d'autres préféraient la céder à une communauté d'habitants faute de pouvoir en tirer le bénéfice escompté, par manque de moyens judiciaires ou à cause de l'isolement des rivages de leur territoire....

Poursuivant une ambition déjà ancienne mais velléitaire, le monarque, seigneur des seigneurs, s'applique, lentement jusqu'en 1660, plus brutalement après, à en recouvrer la plénitude sur l'ensemble des côtes du royaume...

 

Droit maritime, droit régalien

Les tentatives de contrôle pendant plus d'un siècle s'orientèrent dans trois directions distinctes mais complémentaires. La première d'ordre législatif, avec les ordonnances de 1508, 1512, 1543, visait à faire contrôler par les amirautés la légalité du droit de bris détenus par les vassaux. La seconde volée législative, en 1543, 1576, 1584, s'appliquait à règlementer les modalités de distribution des biens sauvés mais non réclamés après un an et un jour. En principe, le partage se faisait équitablement par tiers entre les Sauveteurs, l'amiral et "nous les Seigneurs". Le troisième ensemble de dispositions concernait le contentieux relatif au droit ou au partage qui, dans tous les cas, désignait les seuls officiers d'amirauté comme ayant compétence en la matière (édit de 1576, 1582, Code Michau de 1629).

Ainsi, l'affirmation nécessaire de la souveraineté sur le rivage supprime, au moins en théorie, le droit  de bris des particuliers...

C'est à partir de 1739 seulement qu'un arrêt du roi créa une commission de vérification des droits maritimes...

La commission décida en 1747 de transférer la majeure partie des droits maritimes à la Couronne par le bais de l'Amirauté. Et, dans la déclaration royale de 1770 consacrée au naufrage, les seigneurs restent seulement évoqué comme auxiliaires de l'amirauté au même titre que les syndics de paroisse ou les curés....

Des seigneurs opiniâtres

Louis XIV... mis fin au régime particulier de la Bretagne en retirant, en 1684, aux justices seigneuriales le droit de poursuite dans les affaires de pillage, au bénéfice des justices royales. Puis, en 1691, il confia cette tâche à des juridictions réorganisées, les amirautés, dont le personnel, autonome, ne se confondait plus avec celui des sénéchaussées....

Toutefois, on rappellera que la volonté royale imposée aux seigneurs et l'accaparement du droit de bris n'empêchait nullement les pillages de se poursuivre au détriment des intérêt de Sa Majesté...

 

L'amirauté instrument du pouvoir

Après l'organisation définitive des sièges d'amirauté en Bretagne, à partir de 1691, le maillage côtier mis en place ne se modifia pratiquement plus jusqu'en 1790. ...

Jouissant d'une large compétence administrative et judiciaire, le personnel des officiers d'une amirauté avait à sa tête un lieutenant général qui recevait les enquêtes, présidait les audience, distribuait les rapports. Il était secondé par un lieutenant particulier, un lieutenant criminel, des conseillers. On trouvait ensuite les gens du roi, avocats ou procureurs, chargés de la défense des droits du souverain; enfin le greffier, le receveur et les juges subalternes, huissiers et sergents complétaient l'effectif....

Personnel amirauté de Cornouaille :

1 lieutenant général, 1 lieutenant particulier, 2 conseillers, 1 procureur, 1 greffier, 4 huissiers, 4 sergents, 1 receveur, soit au total 15 personnes.....

Les officiers d'amirauté n'étaient pas tous ou presque tous nobles, loin s'en faut. A partir d'un échantillon de 125 magistrats ayant exercé de 1660 à 1789.... seul 11.2% étaient nobles et souvent de petite extraction. De l'immense majorité roturière, un tiers se distinguait par la possession de fiefs. L'ensemble  des non-nobles, présentait une certaine cohérence en se rattachant à deux principaux groupes sociaux. Le premier était le monde du négoce ou de l'armement maritimes, permettant aux marchands des grands ports de contrôler une juridiction largement perçue comme une institution de tutelle....

La seconde filiation socio-professionnelle  s'oriente plus naturellement encore vers le monde des juristes ou des officiers qui, grâce au principe de la patrimonialité, pouvaient céder leur charge à leur progéniture. Ainsi s'édifiaient fréquemment de véritables dynasties d'officiers d'amirauté...

Peu nombreux, souvent éloigné des lieux d'échouage, les officiers d'amirauté tentaient  de s'assurer du concours de deux sortes d'auxiliaires. Les premiers, curés et seigneurs, de par leur fonction même, se voyaient requis par l'ordonnance de 1681 et le règlement de 1770 d'être au service de l'institution...

En Bretagne, les procureurs terriens assuraient aussi cette tâche de communication et d'éventuelle sauvegarde. Les officiers comptaient sur leur autorité apparemment reconnue au sein des communautés pour s'en servir comme relais. Tenus d'avertir Messieurs de l'amirauté, les procureurs devaient désigner les paroissiens chargés de sauver et de mettre à l'abri les marchandises naufragées....

Après avoir été averti par leurs correspondants de l'arrivée d'un drame, l'un des juges, accompagné d'un greffier ou d'un  huissier se rendait sur les lieux. Une fois sur place, il devait immédiatement entrer en contact avec d'éventuels rescapés, veiller à la sauvegarde et au transport des marchandises sauvées, dresser leur inventaire, procéder à l'interrogatoire du  capitaine et de quelques hommes de l'équipage, éventuellement désigner des experts pour savoir si l'épave méritait ou non d'être renflouée. En cas de vol constaté, il était tenu de procéder à une enquête précise....

La distance et la géographie tourmentée n'expliquent pas exclusivement ce comportement quelque peu musard des officiers chargé d'enquêtes. A plusieurs reprises.... les juges formulent aussi des craintes avant de se rendre sur les lieux du naufrage, tentant alors de justifier leur manque de zèle par la peur d'affronter des habitants peu coopératifs et parfois violents à leur égard....

 

Le juge devant le pillage

Pour être entreprise, l'enquête devait faire suite à une plainte. Cette dernière pouvait provenir directement du procureur du roi près de l'amirauté qui, veillant aux intérêts du souverain, ordonnait son ouverture après avoir estimés lésés, les droits de la Couronne...

Plus régulièrement, la plainte émanait de particuliers, propriétaires ou marchands, victimes de la rapacité côtière....

L'incrimination pouvait encore provenir du capitaine si, par exemple, il avait essuyé des violences ou si des objets précieux, effets personnels, argent, avaient été dérobés....

L'amirauté décida de faire publier des lettres monitoriales qui faisaient obligation à tout individu détenteur d'une information de la déclarer au curé de sa paroisse...

Faute de pouvoir être les témoins d'actes irréfutables, les gens de l'amirauté se contentaient bien souvent de s'appuyer sur la rumeur publique pour commencer leur enquête....

Acquise spontanément, parfois en échange de quelques dédommagements, extirpée par la pression morale du monitoire, la déclaration d'un témoin simplifiait rarement les choses....

L'intervalle entre le moment du pillage et celui de la sentence définitive tourne généralement autour de deux à trois années, mais peut atteindre quatre....

 

L'incertitude des sentences

Parmi les quelques 190 condamnations précises, l'immense majorité (83%) relève d'une amende oscillant entre 3 et 100 livres, dont les 3/4 ne dépassent pas 20 livres... La prison ne touche que 13% des inculpés, le plus souvent condamnés à moins de 15 jours d'enfermement. Enfin, parmi les sentences les plus graves, il y a quelques bannissements.... On trouve aussi un envoi aux galères et trois pendaisons...

Si le cas de Claude Vincent, huissier-audiencier près de l'amirauté de Quimper, condamné à huit jours de prison, 12 livres d'amende et 30 livres de dommages pour s'être enivré au contact des pilleurs de la Peggy, semble exceptionnel, en revanche les sentences contre les gardes et les procureurs terriens ne sont pas isolés. Les attendus concernent toujours leur incapacité "à ne pas avoir empêché le pillage"....

Représentant la  paroisse, les procureurs terriens sont comptables de ses débordements maritimes sans être toutefois les seuls à payer pour tous. Car, faute de pouvoir trouver avec précision les principaux coupables d'un pillage, les officiers appliquent une punition qui pèse sur l'ensemble des paroissiens....

Dans la juridiction de Quimper, on remarque tout d'abord que les procédures criminelles faisant suite  à un pillage s'élèvent très nettement dans le deuxième tiers du XVIII e siècle

1723/1737 : 14.7%

1738/1752 :  5.3%

1753/1767 : 15.8%

1768/1791 : 71.4%

Cette nouvelle attitude des officies bretons résulte probablement moins de l'augmentation du nombre de pillages que de la recherche d'une répression plus adaptée aux difficiles conditions d'enquête. En effet, l'accroissement des poursuites s'accompagne d'une progression des condamnations collectives.....

 

Dieu et les pilleurs

Du bon usage de l'autorité cléricale

Les principes du monitoire

Devant le piétinement d'une enquête, le silence des témoins et l'inefficacité des premières investigations, l'amirauté pouvait se tourner vers l'Eglise - en l'occurrence l'évêque du lieu, ses grands vicaires ou son official - , pour qu'elle fulminât un monitoire afin de provoquer des témoignages susceptibles d'aider la justice

L'Eglise avertit ses enfants ... avec injonction et commandements à ceux qui en ont quelque connaissance de venir à la révélation sous peine d'encourir l'excommunication majeure lorsqu'elle aura été fulminée contre les réfractaires contumaces après les délais expirés...

Lors de l'échouement du Saint Jacques, près de Penmarc'h en 1716, toutes les paroisses depuis Beuzec-Conq jusqu'à Quimper et Pont Croix furent concernées.

Si cette première tentative ne donne aucun résultat tangible, on publie quelque temps après les "réaggraves" ou "rangraves" qui punissent d'excommunication "tous ceux et celles qui, par malice et opiniâtreté et sans raison de droit qui les en dispense, ont manqué de le faire" . Au terme de l'entreprise, il reste aux curés à transcrire les révélations, qui ne constituaient pas des preuves en elles-mêmes puisqu'elles devaient être réitérées devant le juge, et à les porter cachetées, en même temps que les objets restitués, au siège de l'amirauté......

Liste des personnes qui se trouvaient dans le cas de pouvoir être dispensées de l'obligation à révélation. En premier lieu, les coupables et leurs complices "n'étaient pas obligés de se découvrir eux-mêmes et de manifester leur crime", leurs proches ensuite, parents et alliés, "pour éviter d'armer le sang contre le sang" ; puis "leurs conseils, confidents, directeurs, médecins, avocats tenus au secret"; exemptés aussi "ceux qui encouraient quelque danger au préjudice considérable"; sont dispensés enfin .... "ceux qui n'ont que des connaissances vagues, équivoques, incertaines, superficielles, inutiles et fondées sur de vaines conjectures ou sur le babil inconsidéré et peu sensé des langues légères et téméraires....

En regroupant l'ensemble des catégories dispensées de déclarations monitoriales, on comprend que chacun, dans un village de pilleurs, s'estime en droit de ne pas être concerné

La documentation qui subsiste ne permet pas de connaître la fréquence avec laquelle on usa du monitoire...

En dépit des menaces spirituelles, la publication d'un monitoire dans vingt paroisses de la côte de Cornouaille après le naufrage du Saint Jacques, en 1717, ne suscite aucune déposition, à l'exception d'Audierne où dix personnes obtempèrent....

Dépositions que l'on peu classer en deux grandes catégories.

La première s'appuie sur un témoignage strictement oculaire, mais les vendeurs vus, les transporteurs aperçus restent la plupart du temps des inconnus, des étrangers au village dont on dit ignorer l'identité. La seconde se fonde sur l'écoute et le ouï-dire qui autorisent des déclarations - sciemment ? - imprécises et peu utilisables, permettant aux déposants de répondre à l'injonction cléricale sans rien révéler....

La peine d'excommunication, au moins dans les affaires de pillage, restait très exceptionnelle voire jamais infligée aux oublieux volontaires particulièrement nombreux ...

 

Prêtres, paroissiens et pilleurs

Le prêtre en sa paroisse

L'administration monarchique utilisa le prêtre comme un rouage essentiel de contrôle et d'information. Au service du monarque, de sa justice, de ses finances voire de son armée, c'est le curé qui est chargé de transmettre avis administratifs, nouvelles générales ou monitoire, pour lesquels il perçoit une légère gratification. Il tient encore les registres de la catholicité tout comme il rédige les billets de bonne vie et de bonne moeurs.. Il désigne les sages-femmes ou le maître d'école du village...

Sa propension à tout régenter, à interdire les danses, le cabaret, le jeu de boules, à dénoncer les amours juvéniles, à proposer, voire à imposer son arbitrage dans les conflits familiaux pouvait lui valoir de solides inimitiés...

Obligation et charité

Pour inciter à l'action charitable, beaucoup de prêtres ne se contentaient pas d'exhortations pieuses et d'homélies? Ils se rendaient au milieu de leurs ouailles sur le rivage pour tenter de surveiller le bon déroulement des opérations et d'y participer activement....

Après l'organisation du sauvetage, l'hospitalité des hommes, l'entrepôt des marchandise, le curé devait alors  se tourner vers le salut des malheureux noyés. Lorsque ces derniers portaient sur eux un signe d'appartenance au catholicisme (chapelet,livre de prière, image pieuse, médaille, scapulaire), le prêtre, parfois aidé de confréries spécialement chargées de prendre soin  des corps des noyés, procédait à la cérémonie des funérailles avant de faire ensevelir les corps en terre consacrée. Mais l'inhumation des inconnus de religion catholique ne se déroulait pas toujours dans l'enceinte du cimetière paroissial...

Quand aux noyés soupçonnés d'appartenir à l'une des confessions de la Réforme - par l'origine du bâtiment par exemple - , on les enterait sans cérémonie hors de l'enceinte consacrée...

Les rapports de l'amirauté mettent en scène des curés qui s'interposent victorieusement entre l'épave et leurs ouailles afin d'éviter ou , plus rarement d'arrêter le pillage ... Le capitaine morutier de la Marie-Thérèse, de Roscoff, entouré par plus de trois cents personnes après on échouage, se voir délivré par l'arrivée du recteur de Plozévet ...ce qui n'empêche nullement la disparitions de toute la cargaison la nuit suivante....

Des prêtres, à la fois conscients de leur rôle d'intermédiaire social et de protecteur naturel, n'hésitent pas à se poser en avocat de leur communauté, voire d'individus, pourtant largement suspectés, renforçant autours d'eux la cohésion paroissiale face aux autorités. Après l'échouage de la Catherine, près de Plouhinec, en  décembre 1742, le recteur interpelle les officiers de l'amirauté sur l'opportunité de leur présence et de leur enquête.....

 

Le pilleur et son voisin

En famille

Faute de disposer d'attelage ou d'animal de bât, il convient de réunir un maximum de proches pour ramasser tout ce que l'on pourra. Ainsi les enfants ...  sont par exemple sollicités par leurs parents moins pour leur robustesse que par leur nombre et leur agilité à se glisser sous les rochers qui bordent parfois l'estran....

Une telle complicité entre membre d'une famille permettait en principe de se garantir de toute trahison ultérieure et d'opposer aux officiers trop curieux uns système de défense homogène....

Les ressorts sociaux de la délation

Parmi ces rancoeurs possibles, les conflits de propriété, de bornage, de possession immobilière ont probablement tenu une grande place. Dans les zones littorales, ils se trouvaient encore aggravés par la redistribution régulière, entre les feux, des portions de rivage vouées à la récolte du varech. Les indisciplines et les entorses diverses lors du ramassage entretenaient rancune et médisance....

 

Les cultures du rivage

Le vol et le don, Recevoir ou piller

La notion de propriété privée à l'égard de l'épave semblait totalement étrangère aux riverains. Tout bâtiment échoué sur le rivage entrait dans l'espace d'un domaine collectif, s'intégrait au territoire même de la paroisse. C'est pourquoi, les "gens  croyaient qu'il leur est permis de voler impunément et que ce qui vient au bord de la mer est leur bien"...

 

La parole protectrice

Face au questionnement du magistrat, court et précis, la réponse du témoin et du suspect, toujours longue, argumentée aussi, obéit à deux principes qui ont pour but de réduire considérablement la portée de la suspicion judiciaire : la minimisation et l'ignorance...

Selon le poids des charges ou l'importance  des preuves retenues contre lui, le pilleur privilégie l'un ou l'autre registre...

Le premier élément chronologiquement mis en avant, à cause de son effet réducteur, s'appuie sur le rejet de toute préméditation...

Mais devant la matérialité des perquisitions, les hommes ou les femmes doivent pourtant reconnaître posséder les objets venant de l'échouement... Plus fréqemment, ne pouvant nier l'évidence, les suspects affirment que, sous l'influence du voisinage, de la famille, du curé, ils s'apprêtaient à restituer les pièces substituées ... juste au moment où les archers s'étaient manifestés...

Mis en présence des objets trouvés chez eux, les gens s'appliquent à souligner leur faible prix...

Le second type d'argumentation utilisée par les personnes interrogées : le jeu de l'ignorance...  La nuit, la foule, les visages inconnus devenaient autant de possibilités pour esquiver une dénonciation. L'accusé se défend alors en affirmant ne rien savoir de la provenance des objets découverts chez lui par les huissiers....

 

Evolution du rapport entre pillage et naufrage

Amirauté de Cornouaille

1723-1732 : 44.4%

1733-1747 : 35.1%

1748-1762 : 21.5%

1763-1777 : 33.3%

1778-1771 : 11.5%

Le recul sensible du pillage dans la région de Quimper ...  action de plus en plus répressive de l'amirauté.. l'appareil d'état, au nom d'une idéologie d'un usage souvent laborieux, au service des intérêts de la bourgeoisie marchande, par l'intermédiaire des officiers, inculque de force aux gens de la côte cette doctrine de l'obéissance qui se substitue dès lors à la coutume.....

 

je vous recommande tout particulièrement la lecture de cet excellent livre

très bien documenté, vrai référence sur le sujet